Face à près de deux mois de manifestations violentes réclamant sa démission, le président haïtien Jovenel Moïse affirme ne pas être « accroché à un mandat » mais n’annonce aucune mesure immédiate face aux conséquences humanitaires, économiques et sociales de la crise politique.
Interrogé en exclusivité par l’AFP sur la possibilité de mettre un terme précocement à son mandat présidentiel, Jovenel Moïse a répondu mardi qu’il n’était « pas accroché à un mandat, (il est) accroché à des réformes parce que ce pays souffre depuis plusieurs décennies » listant comme prioritaires « la réforme constitutionnelle, de la réforme du secteur de l’énergie, la digitalisation de l’administration publique, la réforme des douanes ».
Lancée fin août après une longue pénurie de carburants dans le pays, la mobilisation populaire contre son pouvoir s’est amplifiée ces derniers jours avec l’entrée des acteurs culturels et religieux dans le concert des contestataires.
L’absence prolongée de dialogue entre les camps politiques mine la déjà très faible économie haïtienne : plusieurs entreprises, notamment des établissements hôteliers de la capitale, ont déjà dû congédier ou licencier des centaines d’employés faute d’activité.
« C’est vrai, il y a un problème », a concédé M. Moïse lors de cet entretien. « Il y a un ras-le-bol. Les gens sont exaspérés. Il y a des entreprises qui ferment leurs portes, qui sont en train de réduire leur personnel ».
« Mais il faut voir comment profiter de cette crise, pour faire de cette crise une opportunité », ajoute-t-il, expliquant que cela « demande beaucoup de dépassement de soi, de sagesse et de sérénité ».
« Pour que la paix revienne »
Par peur des violences qui surviennent parfois en marge des rassemblements, la majorité des établissements scolaires haïtiens gardent porte close depuis plus d’un mois.
« J’exhorte mes frères et soeurs de l’opposition à voir comment faire avec le gouvernement : il y a des pourparlers pour trouver une trêve, pour permettre aux parents et aux élèves de reprendre le chemin de l’école », a signalé le président haïtien, au pouvoir depuis début 2017.
Le chef d’État n’a pas fourni davantage de détails sur d’éventuelles mesures d’urgence contre les blocages criminels des routes qui s’organisent depuis quelques semaines en marge de la contestation politique ou pour lutter contre l’emprise des gangs qui s’aggrave sur les villes haïtiennes depuis plusieurs années.
« Les gens qui rançonnent sur les routes, qui font des barricades, ce sont des Haïtiens qui sont en quête d’emplois », a estimé Jovenel Moïse qui rappelle que la police ne compte que 20 000 agents pour 12 millions d’habitants.
« Les armes qui parlent, qui retentissent dans le pays, il faut les faire taire. C’est ce que nous sommes en train de faire (...) Nous sommes en train de travailler pour que la paix revienne, pour que le peuple haïtien retrouve sa sérénité et que les enfants puissent retourner à l’école », a insisté M. Moïse.
« Pas de chasse aux sorcières »
Avant que cette crise n’explose et ne paralyse le pays, Jovenel Moïse était déjà la cible de critiques d’organisations de la société civile militant contre la corruption.
Enquêtant sur la gestion de plus de deux milliards de dollars américains du fonds dit « Petrocaribe », la Cour supérieure des comptes avait pointé du doigt plusieurs entreprises, dirigées par M. Moïse avant son entrée en politique, comme étant « au coeur d’un stratagème de détournement de fonds ».
Dans un rapport, la Cour détaillait la gestion calamiteuse du fonds d’aide alloué à Haïti par le Venezuela entre 2008 et 2018, dans le cadre du programme Petrocaribe. L’initiative de l’ancien président Hugo Chavez a permis à plusieurs pays d’Amérique latine et des Caraïbes d’acquérir des produits pétroliers à un prix avantageux, mais a toujours été perçue comme source de gaspillage et de corruption utilisée par les quatre exécutifs haïtiens qui se sont succédés.
Après la publication du rapport de la Cour supérieure des comptes, Jovenel Moïse avait demandé l’aide de l’Organisation des États Américains (OEA) pour réaliser un audit de Petrocaribe, une requête perçue par ses détracteurs comme une stratégie d’esquive et de défiance envers la justice haïtienne.
« Certains pensent que c’est de l’ingérence dans les affaires de l’État, mais nous sommes membre fondateur de l’OEA. Ça n’est pas un problème de confiance, au contraire, c’est pour donner la confiance à tout le monde, pour dire à tout le monde : il faut un procès équitable, il faut un procès où il ne va pas y avoir de chasse aux sorcières ni de persécution politique », s’est défendu Jovenel Moïse.
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