«On devrait s’acheter des crédits carbone pour compenser pour le CO2 que nos transports en avion vont générer», me lance ma copine Laurie au moment de réserver nos billets pour Paris.
Je lui jette un regard: «Penses-tu VRAIMENT que ça va changer quelque chose à l’apocalypse environnementale qui nous guette?»
Elle m’explique que selon un de ses amis qui voyage beaucoup, c'est la toute dernière tendance dans la lutte aux changements climatiques.
Avant de dilapider mes maigres économies dans des crédits farfelus pour avoir meilleure conscience, je décide de m’informer sur la patente.
Comprendre la base et s’exciter un peu trop vite...
J’entreprends une courte recherche Google afin d’avoir une idée claire de ce que sont les crédits carbone.
Selon l’organisme Planetair, c’est «une unité de mesure correspondant à une tonne d’équivalent CO2. Cette unité de mesure est utilisée pour faciliter les transactions visant à réduire l’impact des activités humaines sur le climat.»
En fouillant un peu, je trouve plusieurs courtiers spécialisés au Québec, comme Planetair, Carbone Boréal et Solutions Will, qui se chargent de placer mon argent dans des projets bénéfiques pour la planète.
Afin de savoir combien de crédits carbone je dois acheter pour compenser ma polluante balade en avion, j’utilise le calculateur d’impact climatique de Planetair.
Je pourrais calculer les émissions de gaz à effet de serre de mes déplacements terrestres ou de mon régime alimentaire, mais je me dis que je me suis suffisamment écoflagellé comme ça.
Résultat pour un aller-retour Montréal-Paris : 1,89 tonne de C02.
Pour laver mes péchés de voyageur aérien, on estime qu’il me faudrait dépenser environ 42,53$ dans un organisme certifié Gold Standard, «les meilleurs crédits actuellement offerts sur le marché pour la compensation volontaire d’émissions».
«42,53$ pour sauver la planète? Y’a rien là! Ça me coûte plus cher en café et kombucha par semaine!», me dis-je, fier de cette rapide prise de conscience.
Je passe à l’étape suivante, où on me propose une panoplie d’entreprises à encourager au Québec et à l’international.
Je choisis un projet local de reforestation de la grande région métropolitaine de Montréal songeant qu’il y a plus de chance que mon argent ait un réel impact si je l’investis ici.
Finalement, c’est un peu plus cher que prévu, soit 50$, mais on m’a averti avant de passer à la caisse que les prix pouvaient fluctuer selon le prix du Portefeuille Planetair ou du projet sélectionné.
J’entre mes infos et bingo! Me voilà un fier contributeur pour un monde meilleur! On m’envoie même un certificat officiel pour signifier l’importance de mon geste.
«Regarde boss! Pour une fois que j’investis mon argent dans quelque chose de grand!», je lance à Mickaël.
«Cute. Mais, t’es tu sûr que ça marche vraiment ces crédits-là? Ça me semble un peu louche...»
Opelaye. Dans mon excitation, j’ai oublié quelque chose de primordial : vérifier que tout ça n’est pas qu’un gros scam pour donner meilleure conscience aux pollueurs ordinaires.
Un impact discutable
Pour ne pas trop perdre la face devant mes collègues, je décide de contacter Paulina Arroyo Pardo, professeure au Département des sciences comptables de l’UQAM et experte en développement durable et Mark Purdon, directeur général de l’Institut québécois du carbone afin de savoir une fois pour toutes si je me suis fait avoir.
Je vais y aller droit au but : est-ce que l’achat de crédits carbone est une manière efficace de réduire son empreinte environnementale?
Paulina : Pour moi, compenser avec des crédits ne règle en rien le vrai problème qui est les habitudes de consommation des gens.
Oui, ça peut sensibiliser à faire un peu plus attention, mais la situation ne s’améliorera jamais si on ne fait que racheter nos torts à coups de crédits.
Mark : Je le vois plutôt comme un pas dans la bonne direction qu’une solution en soi.
L’idée est louable, mais le problème pour le moment, c’est qu’il n’y a pas vraiment de moyen de savoir si notre argent a réellement servi à réduire le CO2 dans l’atmosphère puisqu’il n’y a pas de données claires à ce sujet.
L’efficacité de la chose demeure donc un peu floue.
Je comprends que le système n’est pas encore optimal. Qu’est-ce qui pourrait être fait pour améliorer la situation?
Paulina : D’abord, au plan individuel, je crois que le vrai changement passe par la modification de ses habitudes de vie.
Notre manière de se déplacer, de manger et de consommer a un impact beaucoup plus grand sur l’environnement que l’achat de crédits carbone.
Ensuite, je trouve qu’il y a un manque de transparence quant à l’accès à l’information pour savoir concrètement si l’argent est réinvesti aux bons endroits lorsqu’on fait un don.
Bien sûr, on peut consulter quelques chiffres, mais c’est toujours très difficile d’avoir le bilan complet. Il faudrait donc trouver une façon de rendre ça plus accessible au public.
Mark : Il faudrait exprimer clairement comment on fait pour estimer la quantité de gaz à effet de serre épargnée par des projets associés aux crédits carbone.
Pour l’instant, la manière de calculer cela reste très nébuleuse et je doute qu’on ait des chiffres fiables en ce qui a trait à ces estimations.
Morale de cette histoire : j’aurais peut-être dû attendre avant de sortir ma carte de crédit pour sauver l’environnement...
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