Avant de m’y rendre, combien de fois ai-je entendu parler du «BC», cette terre promise où les jeunes frogs avides de plein air peuvent profiter du butin dûment gagné après une journée de travail satisfaisant?
Dans les champs, bottes Merrell aux pieds, sourire au visage et bronzage d’habitant en prime, on s’imagine que cet Eldorado de l’Ouest est l’endroit idéal pour s’enrichir et remplir son baluchon d’histoires croustillantes à raconter à ses futurs enfants.
La vérité peut être beaucoup moins kumbaya que ça.
5 am
L’alarme sur mon téléphone me donne une méchante claque dans la face. Mais pas le temps de niaiser : aujourd’hui, c’est ma première journée en tant que ramasseur de raisins.
Deux mois plus tôt, Michaël, Thomas, Émile et moi avons décidé d’entamer un projet incroyablement original pour des jeunes de 20 ans tripeux d’aventure, c’est-à-dire partir en backpack découvrir le monde. (Vive les clichés!)
Le plan était simple : on débuterait par la vallée d’Okanagan afin de gagner un peu d’argent en cueillant des fruits et ainsi amasser un coussin financier pour le reste du périple en Océanie et en Asie.
Je devais accrocher mon tablier de barista, annoncer à mes parents que je partais sur un coup de tête et rejoindre mes amis à Kelowna quelques semaines plus tard.
Une fois mon billet acheté, j’étais fin prêt. Argent facile, sérénades sur le bord d’un feu de camp et amour impossible, here I come!
Après des retrouvailles chaleureuses, mes compagnons et moi nous dirigeons chez notre connaissance à Osoyoos, située à environ 2 heures de route.
Énervé d’en savoir plus sur leur quotidien d’apprentis fruit pickers, j’amorce la conversation.
- Pis? Vos journées ressemblent à quoi? Avez-vous déjà des grosses piles de liasses sous vos sleeping bags?
- Émile : Ben... en fait, on a pas encore trouvé de job comme cueilleurs... On fait juste des jobines à gauche à droite depuis les dernières semaines. Mais on a des places pour dormir chez Marie-Phil!
Oupelaye. Première désillusion: les offres de travail pour les cueilleurs ne pleuvent pas en octobre dans la vallée (ÉVIDEMMENT!).
Je laisse mon angoisse se dissiper. «Ah! Pas de trouble, je suis sûr qu’on va trouver quelque chose bientôt!»
Deuxième désillusion lorsqu’on arrive à destination: je ne dormirai pas dans un lit, mais dans une tente humide plantée sur une parcelle de terrain rocailleux. «C’est nice hein? On a accès à une douche et une toilette!», me lance Michaël.
Youpi...
Comble de la situation sketch, Marie-Philip, notre hôte, n’a pas averti le propriétaire de la maison mobile qu'elle loue qu’il y aurait quatre joyeux lurons qui investiraient les lieux pour quelques jours.
Au moins, le bol de Kraft Dinner me fait oublier momentanément la petite voix intérieure qui me chuchote : «Dans quoi tu t’es embarqué, mon niaiseux?»
Après quelques bières et un peu de weed britanno-colombien, c’est décidé : le lendemain, on cognerait à toutes les portes possibles pour se trouver une satanée job de cueilleur.
Québec vs Mexique
Bénis par les dieux des backpackers pouilleux, nous avons finalement déniché un emploi assez rapidement dans un vignoble.
La paye, en argent comptant, dépend directement de l’effort fourni puisqu’on est payés à la quantité de fruits cueillis à la fin de la journée. Le travail est terminé lorsque tous les fruits sont ramassés.
Un bon deal honnête. On accepte le défi sans hésiter.
Peu revigoré après une nuit sur un matelas de sol dégonflé, je m'extirpe de ma torpeur, enfile mes bottes et le même kit que la veille.
Au menu pour le déjeuner : biscuits soda au beurre de peanut. Même chose pour dîner et possiblement pour souper.
On se dépêche à engloutir nos victuailles pour ne pas faire attendre notre boss venu nous chercher en pick-up.
Trois Mexicains nous accueillent avec une indifférence complète dans la boîte du camion. «They’re our best workers», mentionne Ted, le responsable pour la journée. «Attends un peu de nous voir aller», lance Thomas confiant en nous échangeant un regard complice.
5h45 am. On arrive finalement au dit vignoble. Ted nous montre brièvement la technique pour cueillir adéquatement les raisins, nous donne des seaux pour transporter nos provisions jusqu’au gros récipient au bout de la vigne et lâche un «Good luck!» avant de tourner les talons.
On se sépare en deux équipes de deux pour être plus efficaces et on décide de partager le butin en quatre à la fin de la journée.
Je m’élance sur ma première vigne comme un chacal sur sa proie. Je coupe les grappes de raisin à vive allure et ne m’arrête qu’une fois le seau rempli à rebord pour aller le vider.
Après une trentaine de minutes, je regarde autour pour voir où en sont rendus mes amis et je remarque que les trois rangées de vigne en face de moi sont déjà vides.
- Tu chômes pas mon Émile!
- C’est pas moi... C’est les Mexicains.
Nos compétiteurs ont eu le temps de ramasser au moins le triple de raisins que ce que nous avons récolté.
Mon enthousiasme en prend un coup, mais je ne me décourage pas. J’accélère la cadence pour rattraper le retard.
Au bout de plusieurs heures souffrantes, où mon dos me hait et mes mains pleurent à chaudes larmes, un sifflet se fait entendre. «Yes! Enfin une pause!», pensé-je naïvement.
Toute l’équipe se regroupe autour de Ted pour écouter les instructions. «The day is done. Good work everybody!». Je crois avoir mal compris, car ma montre affiche 10h30. Confus, je regarde mes amis qui le semblent tout autant.
Je m’avance vers le responsable et lui demande de répéter. «Yeah! All the grapes have been picked!».
Déconfits, on réclame notre maigre dû de 75$ chaque pour les quatre dernières heures et demie passées à charrier plusieurs centaines de livres de raisins les deux pieds dans la gadoue.
Nos collègues du Mexique eux ont l’air ravis de leur salaire.
Le soir au bar, ça doit être écrit dans nos faces qu’on est débutants puisque des vétérans pickers nous spottent tout de suite et rient de nos gueules.
«Vous êtes débarqués en fin de saison les boys, nous apprend David. Si vous avez pas plusieurs contacts, vous aurez pas beaucoup de job».
Il nous explique que la cueillette de raisin peut être très lucrative dans la haute saison, mais qu’il y a beaucoup de compétition. En basse saison, se trouver un emploi relève de l’exploit.
On décide tout de même de retenter l’expérience le lendemain malgré son discours quelque peu décourageant.
Finalement, on a passé un peu plus d’une semaine à travailler et profiter de la magnifique vallée.
Grâce à cette modeste fortune, on a pu payer la majeure partie de nos billets d’avion pour la Nouvelle-Zélande et manger autre chose que des biscuits soda avec du beurre de peanut.
Six ans après ce périple, je peux affirmer qu’être cueilleur de fruits n’est pas toujours facile. Mais ça rempli la tête de souvenirs inoubliables.
Mon histoire est loin de représenter une réalité qui touche tous les cueilleurs de fruits. Certains font pas mal de cash et tripent solide, comme en témoigne le récit de ce gars qui a réussi à payer ses études grâce à ça.
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